Le Comité de la société civile des droits de l’enfant du Conseil de l’Europe, auquel EUROCEF participe, a été sollicité pour apporter son expertise dans le cadre des travaux du Groupe Pompidou sur le thème : « Promouvoir la santé mentale des enfants et des jeunes en s’attaquant aux risques liés aux jeux d’argent et de hasard en ligne ».
Par ce texte, EUROCEF souhaite partager aux membres du réseau 7.8.9, ses recommandations et pistes d’action pour mieux protéger les enfants en Europe contre ces risques croissants, souvent méconnus mais aux conséquences lourdes.

EUROCEF
Créée en 1988, EUROCEF – Comité européen d’action spécialisée pour les enfants et les familles dans leur environnement de vie – est une Organisation Internationale Non Gouvernementale (OING) reconnue pour son expertise. Dotée du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe, EUROCEF contribue activement aux politiques européennes et nationales en matière d’éducation et d’action sociale. Sa mission : défendre et promouvoir les droits des enfants et des familles, en apportant une expertise internationale aux instances politiques pour mieux répondre aux enjeux sociétaux de demain. / Site français / anglais.
"Selon l’enquête de Santé publique France datée de 2019, les jeux d’argent et de hasard (JAH) sont plus fréquents chez les hommes âgés de 25 à 54 ans. La majorité pratique des jeux d’argent et de hasard de manière occasionnelle et seuls 28,6% les pratiquent régulièrement soit une fois par semaine. Cela comprend les paris sportifs (11,0 %), les machines à sous (9,7%), les paris hippiques (7,7%), les jeux de casino (5,9 %) et le poker (2,9%). Toutes les pratiques ont enregistré des baisses par rapport à 2014, à l'exception notable des paris sportifs qui ont progressé de 60%. À partir d’un outil de repérage utilisé au niveau international, l’Indice Canadien du Jeu Excessif (ICJE), les joueurs excessifs ou à risque modéré sont plutôt de jeunes hommes appartenant à des milieux sociaux modestes, ayant un niveau d’éducation et des revenus inférieurs à ceux des autres joueurs.
En 2021, une enquête a été réalisée par la Société d’entraide et d’action psychologique (SEDAP) auprès d’un échantillon de 5 000 jeunes âgés de 15 à 17 ans. L’enquête a révélé que « plus d’un tiers des jeunes de 15 à 17 ans (34,8 %) interrogés déclare avoir joué au moins une fois à des jeux d’argent et de hasard au cours des douze mois précédant l’étude. Cette pratique, un peu plus marquée chez les garçons, est répandue dans tous les milieux socioculturels. Les mineurs interrogés ont, en moyenne, commencé à jouer aux jeux d’argent à 13 ans et 3 mois »[1]. Cela comprend en majorité les jeux de grattage (78%), les jeux de tirage (48,4%), les paris sportifs (28,3%) ou de e-Sport interdit en France (21,5%), les paris hippiques (17,7%) et de poker (17,1%).
Les interdictions de participation à des jeux d’argent pour les mineurs ne sont pas perçues comme un obstacle par les jeunes joueurs : « En rapportant ces résultats à l’ensemble des jeunes Français de 15-17 ans, il apparaît qu’au cours de de l’année écoulée, plus d’un quart des mineurs ont pratiqué des jeux de grattage (…). Concernant le jeu en ligne, les paris sportifs sont ceux dont l’accessibilité leur semble la plus facile (25,2 %). »
Même si les jeux en ligne se sont fortement développés, l’accès aux jeux via un lieu physique reste largement prédominant : « neuf joueurs sur dix (88,7%) passent par un lieu de distribution physique et un sur deux (49,9 %) de manière exclusive. »
L’accès et l’utilisation des jeux d’argent et de hasard sont facilités par les parents : « Pour financer leur pratique, les jeunes ont recours à leur argent de poche mais aussi à la participation financière de leurs parents. Les jeunes jouent le plus souvent avec leurs parents comme partenaires (45,7% jouent avec leur mère et 35,7% avec leur père, devant les amis). Un quart des jeunes (23,6%) déclarent même accéder à des jeux en ligne en utilisant le compte de leurs parents, avec leur accord. Même si sept jeunes sur dix (68,5 %) affirment que leurs parents sont au courant des risques liés aux JAH. »[2]
À partir d’un outil de repérage utilisé au niveau international, l’Indice Canadien du Jeu Excessif (ICJE), 12,9 % sont des joueurs à risque modéré et 21,9 %, des joueurs excessifs avec une prédominance de garçons. En comparaison de la même enquête réalisée en 2014, la proportion des joueurs 15 – 17 ans demeure équivalente, cependant le pourcentage de joueurs problématiques a nettement augmenté de 11% à 34,8%. L’importance croissante d’internet dans la vie des jeunes occasionne un accroissement de l’offre d’accès à des jeux. Les comportements à risques des jeunes se caractérisent par des jeux en ligne diversifiés à la fois légaux et illégaux.
Selon Isabelle FLAQUE PIERROTIN, présidente de l’Autorité Nationale des jeux en France (ANJ) : « Le jeu d’argent s’infiltre de plus en plus dans le quotidien des mineurs, relayé par la publicité et par une certaine complicité des parents. En ligne ou dans l’univers physique, combattre le jeu des mineurs est désormais un enjeu majeur de politique publique car, on le sait, plus le jeu d’argent et de hasard est précoce, plus le risque d’addiction est grand. »
Du point de vue d’EUROCEF, pour comprendre ce phénomène et limiter ses effets délétères sur la santé mentale des enfants, la législation et les actions préventives ne peuvent se limiter aux jeux d’argents traditionnels tels que les jeux de grattage, les paris sportifs ou de poker. En effet, dès leurs plus jeunes âges, et en parallèle des jeux d’argent et de hasard (JAH), les enfants utilisent d’autres types de jeux en ligne qui, sans se présenter explicitement comme tels, intègrent des mécanismes incitant à la dépense sans garantie de gain, à l’image des « loot boxes ». Ces mécanismes, bien qu’ayant de fortes similitudes avec les jeux d’argent, ne semblent pas pris en compte dans les recherches scientifiques sur les JAH. Pourtant ils occupent une place importante dans la vie des enfants et adolescents et nuisent à leurs santés mentales.
« Quand il y a de l’argent, rien n’est laissé au hasard »
Ces jeux en ligne souvent accessibles « gratuitement » (free-to-play), encouragent les enfants à effectuer des achats au fil de leur progression, afin de débloquer des fonctionnalités supplémentaires, de manière définitive ou temporaire (par exemple des armures ou des armes pour vaincre les adversaires). Contrairement aux jeux de société traditionnels, ces applications rappellent régulièrement à l’enfant, par des bannières publicitaires ou d’autres procédés plus ou moins incitatifs, que l’argent permet d’acquérir des éléments qu’il ne possède pas encore ou qui lui conféreraient un avantage certain sur les autres joueurs. Ce type d’encouragement à la dépense exploite les failles du joueur dans le jeu, profite des biais cognitifs, tels que l’effet « coups de pouce » ou la peur de rater une opportunité. Ces mécanismes se retrouvent également dans certains jeux éducatifs et pédagogiques en ligne, destinés aux enfants et aux familles.
Cette dynamique se trouve renforcée dans les jeux en équipe. Les coéquipiers peuvent pousser l’enfant à dépenser voire dépenser plus, pour augmenter ses performances et, potentiellement, donner l’opportunité à l’équipe de gagner. Cette pression sociale peut devenir difficile à supporter pour un enfant et provoquer des conflits à l’école avec les camarades ou dans sa propre famille.
Ainsi les enfants sont exposés très tôt à des jeux d’argent. Ce qui autrefois pouvait sembler moralement scandaleux tend aujourd’hui à se banaliser, bien que la législation française interdise formellement aux mineurs de moins de 18 ans de participer à des jeux d’argent et de hasard (loi du 2 octobre 2019). Une étape marquante de cette évolution est la commercialisation, lors de la crise de 1929 aux Etats-Unis, du célèbre jeu de société familial le Monopoly, où le but consiste à ruiner ses adversaires (amis, membre de sa famille) par des opérations immobilières. Sa réussite fut une surprise. Aujourd’hui, les jeux intégrant des transactions monétaires envahissent très tôt l’environnement des enfants sous une étiquette trompeuse et innocente, contribuant à la banalisation de ces pratiques. L’argent n’est plus représenté par une monnaie factice, mais celle-ci est devenue bien réelle.
Les jeux d’argent et de hasard peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale des enfants et adolescents fragiles émotionnellement. Ils occasionnent du stress, de l’anxiété ou encore des dépressions. Les enfants et adolescents sont particulièrement vulnérables à ces impacts, car ils ne disposent pas des mécanismes psychiques nécessaires pour gérer ces émotions négatives à répétition. Ces phénomènes peuvent également entrainer un impact sur l’assiduité, les résultats scolaires, la socialisation, tout en occasionnant de la dépendance.
À l’instar de nombreux autres acteurs, EUROCEF appelle à l’élaboration dans ce domaine d’une stratégie globale de prévention et de protection des enfants. Cette stratégie devrait s’appuyer sur des programmes de recherche solides et les directives ou résolutions actuelles, afin de définir des orientations claires et de favoriser l’évolution des législations en vigueur dans les différents pays européens.
Plusieurs textes pourraient servir de référence :
Au niveau mondial, la résolution sur les droits numériques des enfants adoptée lors de la conférence annuelle du GPA à Mexico en 2021 (43ème Global Privacy Assembly), invite à promouvoir des réglementations qui interdisent les pratiques visant à manipuler les enfants ou à influencer leur comportement, par la collecte et l’analyse de leur donnée personnelle.
Au niveau européen, la directive sur les pratiques commerciales déloyales (2005/29/CE) interdit les pratiques trompeuses et agressives, notamment celles incitant à l’achat dans les produits destinés aux enfants.
La directive sur les services médias audiovisuels (2010/13/UE, révisée en 2018) renforce la protection des mineurs contre des contenus commerciaux jugés nocifs, y compris dans les jeux vidéo.
Digital Services Act entrée en application le 17 février 2024, impose un certain nombre d’obligations à toutes les plateformes numériques, les grands moteurs de recherches étant déjà concernés depuis le 25 août 2025.
Sur le plan national, des dispositions spécifiques ont été adoptées dans certains pays pour encadrer les jeux en ligne qui incitent les enfants à effectuer des achats intégrés via des mécanismes identiques aux jeux d’argent et de hasard (les loot boxes). La Belgique et les Pays-Bas ont classé ces pratiques comme des jeux d’argent depuis 2018, imposant ainsi une régulation stricte à ces plateformes. En revanche, en France, les discussions sur le sujet restent en suspens depuis 2017.
Enfin, pour protéger les enfants des jeux d’argent et de hasard, tout en leur garantissant davantage de sécurité et de transparence, il serait préférable, selon nous, de privilégier une offre de jeux totalement gratuite ou payante dès l’achat initial. Cette approche permettrait de lever toute ambiguïté, d’éviter les exploitations commerciales et réduire les risques de développer des comportements addictifs[3].
En complément, il serait bénéfique d’imposer des certifications ou labels éthiques pour les jeux destinés aux enfants. Ces labels garantiraient, entre autres, l’interdiction de la publicité intrusive, du placement de produits, de la collecte abusive de données personnelles et des incitations à l’achat. Ils pourraient également inclure des critères tels que des durées de jeu limitées et la mise en place d’un service d’alerte en direct pour signaler des comportements de harcèlement ou d’éventuelles situations impliquant des prédateurs sexuels, en référence à la Convention de Lanzarote.
Dans le cadre de la Digital Services Act (DSA), les plateformes auront d’ailleurs l’obligation de mettre à disposition un outil de signalement accessible. Le représentant légal de l’enfant devra également conserver la possibilité d’alerter les autorités compétentes en cas de non-respect des règles.
Ainsi face à un univers numérique entièrement programmé, rien ne sera laissé au hasard pour protéger les enfants des jeux d’argents en ligne.
Pour + d'infos : EUROCEF
Contact : contact@eurocef.eu
[1] Marie-Line Tovar, Jean-Michel Costes « La pratique des jeux d’argent et de hasard des mineurs en 2021 (ENJEU-Mineurs) » SEDAP, Février 2022
[2] Marie-Line Tovar, Jean-Michel Costes « La pratique des jeux d’argent et de hasard des mineurs en 2021 (ENJEU-Mineurs) » SEDAP, Février 2022.
[3] Un lien « solidement vérifié » a été établi entre les « loot boxes » et l’addiction aux jeux. En habituant les joueurs, souvent très jeunes, à ces pratiques, le risque est de les faire basculer sur des comportements de jeu addictifs. Ce constat a été réalisé en 2021 par des chercheurs britanniques dans un rapport de synthèse, après avoir consultés de nombreux chercheurs sur le sujet.